Chut, ce ne sont que des enfants…

J’ai hésité avant de vous parler de ça… Puis, j’ai décidé de me lancer. Car c’est un sujet d’actualité. J’ai assisté, il y a quelques jours, à ma deuxième réunion de rentrée scolaire. J’aime bien les réunions d’école. Sans doute parce que je n’en ai pas fait beaucoup… Mais celle-ci m’a chagrinée. Déjà parce que, devant le portail, des parents ont sorti leur carte d’identité et ont ouvert leur sac pour « un contrôle visuel ». C’est que nous sommes en plan alerte attentat, le grade au-dessus de Vigipirate.

Nous avons pris place dans la cantine. Sur des petites chaises colorées. Elise m’a montré sa table. Puis s’est installée à mes côtés. La directrice avait réuni tous les parents dans le réfectoire avant la réunion classe par classe. Je pensais qu’elle voulait se présenter puisqu’elle est nouvelle. Elle l’a fait, brièvement. Mais elle a surtout évoqué les mesures de sécurité. L’accueil du matin, au portail. Les heures de sortie, précises, « pour éviter les attroupements ». Les travaux qui seront effectués pour sécuriser les lieux… J’ai eu le cafard. Puis, rapidement, envie de vomir quand elle a détaillé l’exercice « simulation attentat intrusion ».

Elise était assise. Elle écoutait. J’aurais tellement voulu qu’elle n’entende rien de cela. «  Nous ferons ça sous forme de jeu pour ne pas traumatiser les petits. » « Ca », c’est l’exercice en question. A faire avant les vacances de la Toussaint, dans toutes les classes du département. Les écoliers, des gamins hauts comme trois pommes, vont devoir apprendre à se cacher, à se taire. « Nous allons jouer plusieurs fois par jour au roi du silence. Jusqu’à le faire sept ou huit fois par jour. Ça peut paraître surprenant mais ça marche très bien. » Je regarde les parents assis à mes côtés : « Si ça pouvait marcher à la maison… » On plaisante. On rit jaune, en vrai. La directrice, elle, poursuit. « On va dire aux enfants que je les cherche et que je ne dois pas les trouver. » Dans la salle, pas un bruit. On imagine tous un tout autre scénario… L’horreur.

Et je me demande dans quel monde on vit pour apprendre aux enfants à se planquer dans une école… Ça me rappelle une conversation que j’ai eue avec des amies dont les petits ont le même âge qu’Elise… Est-ce égoïste de faire naître des enfants par les temps qui courent ? Je n’ai toujours pas la réponse.

Après les attentats, des copains ont discuté avec leurs enfants. Nous avons tout fait pour éviter d’avoir à le faire. On ne voulait pas qu’elle voit ces images. On ne voulait pas se retrouver face à ses questions. Alors, je lui ai écrit une lettre. Si, un jour, elle nous questionne, nous la lui donnerons…

« Lettre à Elise (!),
Ma chérie, il faut que je te dise. J’ai fait ce que je vais t’apprendre à ne pas faire. Je t’ai menti. Ce matin-là, je t’ai souri comme si tout allait bien. Je crois même avoir répondu « oui » quand tu m’as demandé  « ça va maman? ». J’ai menti car, non, ce samedi matin, je n’allais pas bien.
Mais comment te dire le contraire ? Comment te décrire ce que j’ai vu la veille ? Tu es si petite…
Alors, ce samedi, j’ai mis un mouchoir sur mes états d’âme et mon envie de gerber. Ton papa a fait comme moi d’ailleurs. On a pris le petit déj, on a écrit ton prénom sur le tableau. Tu as dessiné. Et je t’ai regardé faire. Tu es si belle…
Tu as dansé avec tes copines, on a acheté des autocollants à coller aux vitres pour Noël, on a ri. On a chanté.
Le temps de ta sieste, j’ai remis la télé. Et j’ai vu l’horreur. Avant de te voir réapparaître avec ce sourire qui me fait fondre. On a écrit au Père Noël. On a fait des crêpes. Et mangé des Kinder et du Nutella bourré d’huile de palme.
Tout ce week-end, l’angoisse ne m’a pas quittée. Ma boule au ventre non plus, évidemment. Mais tu étais là. Tes câlins, tes bisous, tes rires avaient une saveur particulière. Tu es si belle…
Un jour, peut-être, tu me demanderas ce qu’il s’est passé ce soir-là. Et je te raconterais comment nous avons vécu le 13 novembre 2015. Mais pas avant. Tu es si petite…
J’ai peur que ton regard change. Qu’il devienne aussi lourd que les nôtres aujourd’hui. Je me refuse de lire l’inquiétude dans tes yeux. Tu n’es qu’une enfant…
Alors, oui, on t’a menti. Parce qu’on pensait bien faire. Qu’on refusait d’expliquer l’inexplicable. Et qu’on ne voulait pas justifier l’injustifiable. Ce jour-là, avec ton papa, on a choisi de vivre dans notre bulle, au pays des Bisounours. Sans doute parce que, ce jour-là, nous nous sommes demandé « Dans quel monde l’avons-nous fait naître? ».
Mon cœur, promets-moi de ne jamais oublier ce qui fait la France. La liberté. L’égalité. La fraternité. Ces trois mots banalisés sur une bannière ont du sens. Ne laisse personne assombrir tes pensées. Cultive l’amour, l’amitié. Profite de la vie. Aime. Observe. Apprend. Découvre. Danse. Chante (même aussi faux que moi). Éclate de rire. C’est si bon.
Tu es unique. Tu es toi.
Tu es ma fille. Et je t’aime. »

Marion

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